Bien parler n’est pas inné. Cicéron, grand rhétoricien romain, disait que tout grand orateur doit remplir trois fonctions à travers un discours : instruire, plaire, émouvoir (docere, delectare, movere).

Il n’est pas mauvais qu’en ces temps de communication reine où charisme et séduction  ont pris tant d’importance, on se remémore ce qui constituait l’art oratoire dans l’Antiquité grecque et romaine, quitte à l’enrichir de quelques considérations d’aujourd’hui.

  1. Instruire (docere)

 C’est une évidence : une intervention publique sert à informer, donner les éléments du dossier et donner la preuve de votre vérité. Le public doit être convaincu  et qu’il  reparte en ayant retenu les éléments essentiels.

Utilisez des images. Les tribuns de l’Antiquité l’avaient pressenti, les neurobiologistes d’aujourd’hui  l’ont prouvé:  le cerveau humain enregistre le mieux les informations transmises par le biais de formules imagées, les métaphores.  Usez-en ! Exemple : Une femme dans un comité directeur c’est un olivier dans une forêt de sapins.

Mais évitez les métaphores essorées du genre : La direction est un panier de crabes. Préférez-lui le «nid de frelons». Cela dit, si c’est votre direction, évitez d’en parler.

Appuyez-vous sur des références. Quelques références,  quelques statistiques, quelques noms, quelques citations… cela légitimise vos propos et assoit votre crédibilité.

Exemple : Discours sur les femmes dans les instances dirigeantes des entreprises :

  1. Dans le CAC 40, on ne compte que 8% de femmes dans les comités directeurs.
  2. Je l’ai aussi fait en citant Cicéron (vous avez été impressionnés, j’espère) et j’ajoute que son docere, delectare, movere est une figure de style, l’épitrochasme figure de la répétition.

Tout cela pour vous dire qu’il ne faut pas non plus en abuser : un peu de références impressionne, trop agace (quelle figure de style ?). De plus, cela suscite le sentiment désagréable que vous êtes prétentieux et que vous manquez de personnalité en vous cachant derrière les autres.

Répétez les messages importants.

Ne vous faites pas d’illusions. Notre cerveau est ainsi fait qu’il se réjouit de ce qu’il reçoit mais n’en retient qu’une faible partie. Le bon moyen de faire mémoriser les messages centraux de votre intervention c’est de les répéter sous des formes différentes : une image + une statistique + une explication.

De plus, vous aurez plus de chance de toucher dans le public les différentes formes de mémorisation.

 Exemple : Discours sur la place des femmes dans les instances dirigeantes des entreprises.

  1. Métaphore : Une femme dans un comité directeur c’est un olivier dans une forêt de sapins.
  2. Statistique : 8% de femmes dans les Codirs des entreprises du CAC 40
  3. Elles sont trop absentes dans le middle management et les métiers de l’opérationnel.

Et quand j’évoque les messages centraux, n’en espérez pas plus de deux ou trois par discours. En clair, préférez sacrifier des informations secondaires pour privilégier les principales et les marteler.

  1. Plaire (delectare)

C’est encore plus vrai qu’au temps de Cicéron : aucune chance d’être écouté si votre public s’ennuie. Il vous faut le charmer.

Prenez du plaisir. Rien n’est plus communicatif que le plaisir… ou son absence. Alors, montrez-le ! Si vous éprouvez du plaisir  à votre discours, le public le ressentira. Pour cela, pensez à ce que vous allez échanger  avec lui plutôt qu’au jugement qu’il va porter sur vous. Pensez-le en allié, en partenaire plutôt qu’en adversaire car c’est généralement le cas : à l’exception des grincheux  le public a envie que tout se passe au mieux.

Ne lisez pas votre discours. Cela coupe la relation avec le public. Vous parlez  à un fantôme. Le public décrochera. On ne convainc, on ne séduit, on n’entraîne un public (tiens encore un épitrochasme !) que si on garde constamment le lien avec lui. Si vous craignez de perdre le fil, répétez-le et gardez-le sous les yeux. Mais détachez-vous en.

Soignez la forme du discours. Même s’il s’agit d’un sujet technique, d’un simple reporting, on peut donner sans grand effort un peu de reliefs et couleurs à une intervention.

Bien sûr la priorité d’un discours va à la clarté, la concision et la simplicité, meilleurs moyen de capter l’attention. Mais il est bon aussi de surprendre son auditoire, en évitant l’uniformité, en lui faisant comprendre dès le début qu’il y aura des surprises. Un bon moyen consiste à « amplifier » son discours, forcer un peu le trait dans les deux sens, mêler aussi grandes références et pettes anecdotes.

On peut aussi  ravir par quelques par quelques une des innombrables figures qu’offre la rhétorique, que l’on connaît et auxquelles on ne pense pas.

Pourquoi ne pas introduire l’ennuyeux  séminaire de rentrée par une comparaison avec le Beaujolais nouveau qui  « revient chaque année  et pourtant étonne par ses nouveaux arômes. » Dits avec le sourire, bien sûr, histoire de dégonfler le risque d’emphase…

Et  pensez aux anti-phrases (généralement ironiques :« je vois le bonheur dans vos yeux », toujours à propos du séminaire de rentrée), attelages ( notre nouvelle directrice vêtue d’un tailleur et d’un immense talent), chiasmes ( tous pour une, une pour tous)…  Cela donne un peu de fantaisie, de souffle et procure un réel plaisir à l’assistance, comme autant de petites échappées aux conventions.  Une suggestion : procurez-vous un  petit manuel de réthorique. Ou suivez des ateliers…

Vivez votre discours. Et essayer de faire rejaillir votre énergie sur le public.  Cela lui permettra en retour de vivre ce que vous racontez. L’art oratoire est un art de l’échange, pas forcément en paroles mais en énergie.

Cette communication passe aussi par votre gestuelle : le corps droit, les gestes ouverts, le regard fixés sur les participants, chacun à son tour.

Soignez le rythme de vos propos, variez les tons, observez des micros silences… Parler en public est quasiment une épreuve sportive dans laquelle vous vous donnez à fond. C’est fatigant mais cela en vaut la peine.

  1. Emouvoir (movere)

L’émotion, Cicéron la considérait comme l’effet le plus déterminant du discours, celui qui fait « fléchir » l’auditoire, emporte son adhésion. Cicéron disait que durant  votre discours il faut que le public « s’irrite, s’apaise, jalouse, favorise, méprise, admire,  haïsse, aime,  désire, se dégoûte, espère, craigne, se réjouisse ou s’afflige.»

Vous  n’êtes pas obligé d’aller jusque-là, c’est une indication…

Adresser vous au cœur du public. Même dans un reporting commercial où rien n’égale la puissance des chiffres, introduire le facteur humain  – un témoignage, la conséquence heureuse d’une action, l’émotion ressentie à un moment l’effet positif d’une action – peut donner du corps et emporter l’assistance malgré la faiblesse de certains résultats chiffrés…

Convoquez votre propre votre humanité. Les tribuns de l’Antiquité, tellement maîtres de l’art oratoire, n’hésitaient pas à manipuler  l’assistance  (en particulier les juges dans les procès). « Bien dire le discours a pour effet que les paroles semblent  venir  du cœur », lit-on dans La rhétorique à  Herennius, traité étudié par tous les hommes d’Etat romains.

Suscitez le coup de foudre. Pour Cicéron, l’émotion frappe  comme la foudre, «  disperse tout sur son passage et montre sur le champ la puissance de l’orateur ». Parler porte en soi les germes de la manipulation. Les grands avocats en usent devant les jurés d’Assises. Mais rien n’égale la puissance d’une émotion réelle, authentique,  donnée en partage. Cette transmission d’émotion crée le lien qui fera de votre intervention un moment d’émotion mais aussi de plaisir et d’enrichissement partagé.

Et n’oubliez pas,  movere veut aussi dire « faire rire » en latin. L’humour n’est pas, comme on l’entend souvent, une caractéristique de notre époque :  Cicéron adorait amuser son public avec jeux de mots voire des contrepèteries. Mais, l’humour c’est comme les références, un peu ravit, trop alourdit.